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Emmanuel Todd était à Montluçon le 11 décembre. À 16h45 il donnait une conférence au lycée Madame de Staël devant un parterre essentiellement constitué de lycéens et à peine terminée cette conférence, il s'est rendu aussitôt à la salle St Vincent pour donner une deuxième conférence devant un public plus âgé mais tout aussi captivé . Au total, il passé 3 heures à débattre et argumenter. Deux mots pourraient résumer Emmanuel Todd si on était obligé de le faire. L'homme est iconoclaste autant qu'il est controversé. Et d'ailleurs, il le reconnaît lui-même, non sans une pointe d'ironie, voir de coquetterie quand il tente de se définir, lors de la première des deux conférences notamment.
Le premier thème choisi pour la conférence devant les lycéens était "Qu'est-ce qu'être anthropologue". D'emblée, il distingue les anthropologues de terrain (pour qui il reconnaît avoir beaucoup d'admiration) et les autres. C'est-à-dire ceux qui construisent des hypothèses de travail et les soumettent en suite à l'épreuve du réel. C'est à cette seconde catégorie qu'appartient Emmanuel Todd. Celle des "rats de bibliothèques" qui passent leur temps à éplucher les statistiques comme il l'affirme lui-même.
Mais Emmanuel Todd est surtout un chercheur qui fonctionne à l'intuition. Un jour qu'il se reposait sur un divan chez sa mère, il en a une justement. Et même si on ne peut pas dire que ce soit une révélation au sens strict du terme, elle va structurer pour un long moment ses recherches afin de vérifier si cette intuition géniale est validée par le terrain.
Cette intuition, la voici "il doit exister une cohérence structurante entre l'organisation politique dont les pays (ou régions géographiques) se sont dotés et l'organisation de la famille qui prévalait dans ces mêmes pays (ou régions géographiques)" . En d'autres termes, le chercheur pense que les pays ne se sont pas dotés d'organisations sociétales et politiques par hasard et que ceux qui ont travaillé à mettre en place les systèmes politiques se sont forcément inspirés consciemment ou inconsciemment d'un modèle d'organisation qui préexistait à un stade plus embryonnaire.
Les anthropologues ont isolé trois grands types de structurations familiales à travers le monde. La famille de type "nucléaire" organisée autour du noyau restreint de la famille (père, mère et enfants). La famille de "souche" organisée autour de la lignée, dans laquelle le fils ainé reste par la suite dans la cellule familiale pour en assurer la succession et enfin la famille de type "communautaire" plusieurs enfants restent plus tard dans la cellule familiale et assurent collectivement et à égalité la succession.
Peut-on penser que ces trois formes d'organisations familiales aient pu influencer en profondeur et durablement la structuration politique des sociétés ? Emmanuel Todd le pense et va s'attacher à étudier de près si une telle corrélation peut être établie en passant les différents pays au peigne fin. Un travail de titan qu'il va mener durant des années.
Le chercheur ne manque pas de détracteurs dans le milieu universitaire. D'ailleurs, il s'empresse de déconseiller aux étudiants venus l'écouter ce soir-là, de le citer comme exemple durant les examens, convaincu que cela "les desservira plus qu'autre chose" affirme-t-il avec une pointe d'ironie dans la voix.
Lui-même se dit convaincu que son système est en grande partie validé par ses recherches. Mais la cohérence entre organisation familiale et organisation politique est-elle le seul déterminant ? Il ne le dit pas. Il reste que la conférence fut convaincante.
Pour celles et ceux qui n'ont pas pu s'y rendre, la voici ci-dessous dans son intégralité.
Première conférence d'Emmanuel Todd au lycée madame de Staël à Montluçon.
Un public nombreux dans la salle mise à disposition par l'équipe de direction du Lycée Madame de Staël.
Le deuxième thème choisi pour la conférence salle St-Vincent s'intitulait "Difficile de nos jours d'être prophète". Un clin d'œil évident aux "prédictions" auxquelles l'anthropologue s'est risqué naguère et dont la réalisation lui ont valu pour partie sa notoriété.
L'originalité de cette deuxième conférence, c'est qu'elle était construite sous la forme d'un dialogue. Bernard Vasseur, professeur de philosophie lui donnait la réplique et de belle manière. C'est d'ailleurs lui qui fit sa présentation au public pour introduire le débat.
Dès les années soixante-dix, Emmanuel Todd avait prédit l'effondrement du bloc soviétique une vingtaine d'années plus tard. Il fit de même pour les révolutions arabes dont il avait esquissé les contours bien avant qu'elles ne se produisent. Mais le chercheur n'est pas un adepte du marc de café et ne se sert pas plus de grimoires pour voir l'avenir. C'est en s'appuyant sur ses analyses anthropologiques qu'il a pronostiqué leurs grandes probabilités.
Difficile ensuite de rendre compte de l'entièreté du dialogue entre les deux hommes. Car de fait, le discours était beaucoup moins linéaire que dans un monologue. Il est aussi parsemé d'anecdotes ce qui le rend plus vivant et moins solennel que peut parfois l'être un monologue. Plus long aussi comme vous allez pourvoir le constater dans cette seconde vidéo qui dure plus de 2h. Alors, calez-vous bien dans votre fauteuil. Mais ne vous en faites pas, avec Emmanuel Todd et Bernard Vasseur, le temps passe très vite.
Deuxième conférence d'Emmanuel Todd et de Bernard Vasseur à la salle St Vincent à Montluçon.